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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

on colportait, par toute la ville, les nasardes et les coups de dent.

Jean Martet en quatre volumes — qui valent, sur un autre plan, les conversations de Gœthe et d’Eckermann, — René Benjamin avec Clemenceau dans la Retraite, Fernand Neuray, le savant directeur de la Nation belge, ont consigné ces jugements, rapides et foudroyants, de Clemenceau sur les hommes de la République qu’il avait vus de si près, qu’il connaissait si bien. Ce ne sont pas de simples boutades. Sous les plus sévères et les plus drôles, il y a comme une secrète indulgence de zoologue pour des animaux mal doués et ridicules : « Ce n’est pas leur faute. » Galerie incomparable et qui donnera à ceux de l’avenir une forte idée de la France : « Comment a-t-elle pu résister à cette collection de bavards et d’abrutis ? » Le Français, même supérieur, a la bosse de la vénération pour l’homme en place. Barrès, écrivant au médiocre Poincaré l’assurait « de sa respectueuse admiration ». Qu’avait donc Poincaré d’admirable, en dehors de la sécheresse de son cœur et de la brièveté de son esprit ? Quant à son discernement des valeurs, j’en citerai un seul exemple. Il revenait de Gênes ou de Suisse, où il s’était rencontré avec Mussolini, Comme nous l’interrogions à son banc des ministres, au sujet de ce Duce dont toute l’Europe s’entretenait, il nous répondit : : « Peuh, un sous-officier… » Le ton de mépris était extraordinaire. Ce pauvre nain, environné de flatteurs, avait fini par croire à sa propre personnalité. Avec Poincaré, c’était Briand qui excitait surtout la verve de Clemenceau. Il le connaissait dans les coins et il le dépiautait, comme la cuisinière fait du lapin promis à la gibelote. Lloyd George en fut estomaqué.