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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/87

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

amis elle demandait une seule chose : le silence. Aussi vit-elle avec plaisir la duchesse d’Uzès, dont la norme était fort opposée à la sienne, prendre, dans les ragots mondains, et de par ses réelles largesses, une place qu’elle n’aurait jamais voulu occuper. Le plus grand service qu’elle rendit à Boulanger, rapidement perdu dans les rêts de Vénus, ce fut de lui gagner Rochefort, sur qui elle exerçait une séduction morale par la sagesse de ses vues et de ses conseils. Mais jamais elle ne rompit avec Clemenceau, dont elle appréciait le caractère et, comme elle disait, « le sens de l’honneur ». Ce sens et celui de la Patrie, chez elle, primaient tout.

En pleine griserie de popularité, et ne la connaissant pas bien, Boulanger lui demanda un soir de l’accompagner à l’Opéra, dans une première loge de face. Elle y consentit et se tint dans le fond de la petite boîte, ayant placé, à côté de l’homme de la Revanche, une jolie petite femme quelconque. À chaque entr’acte toute la salle se retournait et saluait l’idole de Paris. Vint la sortie. Le général avait offert son bras à Mme de Loynes. Quand on fut sur le perron — car il faisait beau et sec — un seul cri s’éleva : « Vive Boulanger ! » Le général se tourna alors, avec une mine infatuée, vers celle dont il soutenait le bras léger et dit : « C’est pour bibi, tout ça ! » Alors, disait Mme de Loynes, je ne crus plus à son triomphe. C’est là ce que les Anglais appellent « very vulgar ».

Mais, tandis qu’il tendait la main droite aux royalistes, Boulanger, sous la direction de Dillon, tendait la gauche aux impérialistes, et notamment au prince Napoléon. Celui-ci accueillait tout et tous, pourvu que les intermédiaires fussent les adversaires, sournois ou déclarés, de l’impératrice Eugénie, la mère en deuil du prince Louis, sa bête noire. On n’a