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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— C’est un lettré ?

— Certainement, disait Goncourt, qui avait beaucoup de goût pour Clemenceau.

— On le dit corrompu et coureur de femmes.

— Moins que Morny, répondait Goncourt.

— A-t-il de l’esprit ?

— Invitez-le et vous en jugerez.

— Je ne peux pas. Taine m’a dit qu’il ne viendrait plus chez moi, si je recevais ce communard.

— Et Renan, que vous a-t-il dit à ce sujet ?

— Que Clemenceau ne faisait jamais oraison.

Edmond de Goncourt riait en pouffant, avec sa gentillesse ordinaire. Il aimait tendrement « la princesse », mais il la savait un peu et beaucoup nigaude. Elle n’avait d’ailleurs, à cette époque, aucune influence politique et sa principale source de renseignements erronés était Frédéric Masson. Elle avait, comme amant n° X, un vieux graveur, Claudius Popelin, lequel, de son côté, s’était épris d’une demoiselle d’honneur, déjà d’un certain âge, de la Princesse, ce qui faisait jaser toute la société parisienne. Clemenceau connaissait ces détails d’alcôve et en riait. Périodiquement, la princesse Mathilde, cousant ou tapissant sur son métier à têtes d’aigle — naturellement — disait à ses intimes :

— Je crois bien que je vais inviter Clemenceau.

— Oh, madame, ne faites pas ça…

— Pourquoi donc. Est-ce qu’il sent mauvais ?

— Non, mais il est plein d’idées atroces.

— C’est précisément là ce qui m’amuse. Sainte-Beuve aussi était plein d’idées atroces. Je voudrais connaître le grand champion de l’éloquence parlementaire.

— Il vous scandalisera.