Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
MÉMOIRE ET DESIR.

nantes aiguillent nos convictions et nos penchants. L’amour de la patrie, impérieux chez Lemaître, tenait à la reconnaissance fréquente qu’il faisait de ses ancêtres en lui, de leurs mœurs simples, de leurs habitudes laborieuses, à cette confrontation imagée.

Or, on dit couramment que ce qui rayonne dans l’être, c’est l’esprit. Je pense que c’est, avant l’esprit et l’intelligence, la mémoire héréditaire. Ceux qui en sont chargés et imprégnés exercent une aimantation particulière sur leurs contemporains. Cette irradiation, d’un genre spécial, incline à l’avis des mnémohéréditaires, des personnes quelquefois très récalcitrantes et fait d’eux des propagandistes remarquables. Avant qu’il eût ouvert la bouche, pour émettre, de sa voix d’or, quelque appréciation motivée sur les gens et les événements, le public trouvait que Lemaître avait raison. Il est le seul orateur lisant que j’ai vu avoir une influence immédiate sur ses auditeurs. On n’écoute et on ne subit d’ordinaire que les improvisateurs. Lemaître suivait son texte sur son papier, et l’assistance buvait ses paroles. Ses cours sur Racine, Rousseau, Fénelon regorgeaient de monde. Il avait une façon d’articuler, de nuancer, d’insister brièvement, puis de déblayer, qui vous faisait assister au travail merveilleux de son intelligence frémissante, débarrassée de toute apparence de convenu. Aucun apprêt, la vie même… mais éclairée, soutenue, rythmée par un chapelet de vies antérieures.