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LE MONDE DES IMAGES.

sont les phrases, composantes elles-mêmes du style. Elles accourent et se déposent sur le papier, tel un vol de papillons de couleur, dont il est douloureux et joyeux d’épingler les ailes. Désormais la machine est en train. L’auteur s’échauffe, il va de l’avant. Au delà du paysage qu’il vient de peindre, du sentiment qu’il vient d’exprimer, de la silhouette qu’il vient de tracer, il aperçoit une course fugitive d’autres paysages, d’autres sentiments, d’autres silhouettes, qu’il n’a pas le temps de saisir, mais qui lui laissent, en s’évadant, une impression de pénétration et de vigueur. Les enchaînements du monde ne sont pas loin, ces concordances mystérieuses qui relient, à travers la mémoire individuelle, les points sensibles d’une mémoire générale, qui semble être celle de l’humanité. Nous savons maintenant que c’est, plus modestement, celle des ancêtres. Des tâtonnements harmonieux de Chateaubriand aux immortels « pleurs de joie » de Pascal, c’est toute la gamme des apparitions littéraires, telles qu’elles se produisent dans l’âme de l’homme de lettres, entre sa plume, sa main, son encre et ses souvenirs.

Buffon a dit du style, avec beaucoup de raison, dans une maxime mal comprise et mal interprétée, qu’il était « l’homme même », c’est-à-dire la spécifié humaine. Celui qui n’écrit pas, qui n’écrira jamais, qui n’a jamais écrit, a cependant un style, par le fait, seul et nu, qu’il exprime sa pensée à l’aide de mots. Chez l’homme, l’articulation de la