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LE MONDE DES IMAGES.

frontait ainsi la racine du mot avec sa mémoire héréditaire, où sont latentes les formes de ces racines, transmises le long des générations et enrichies de préfixes, de suffixes, par des augments successifs, d’âge en âge.

Le labeur effrayant auquel se livrait M. Gustave Flaubert, dans son triste pavillon de Croisset, tenait à un scrupule analogue ; mais l’auteur de Madame Bovary se faisait illusion quand il parlait son texte dans son « gueuloir », pour en augmenter la cadence et la précision. La préoccupation exclusive de la sonorité du mot conduit à l’illusion et au mensonge. Là est la tare du romantisme, qu’il soit magnifique et aéré comme chez Hugo, somptueux et à odeur de renfermé comme chez Flaubert, trivial et scalologique comme chez Zola. Lisez Flaubert en éliminant les mots, notamment les épithètes, qui ne sont là que pour l’équilibre harmonieux des périodes. Remarquez, chez Hugo, l’effet invariablement obtenu par un terme à la fois puissant et vague, choisi, non d’après sa racine et son sens lointain, mais d’après son écho, musical ou visuel. Quant à Zola, il ne rencontre jamais le terme juste que dans l’argot, c’est-à-dire que dans la brutalité sexuelle de l’image. En effet, l’argot est une substitution constante du terme sensuel au terme sensible, et du terme sexuel au terme sensuel, un renforcement de la langue par ses parties basses. Alors que l’idéologie est, à l’autre pôle, un obscurcissement méthodique du langage par une