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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

intrusion abusive de termes vagues et abstraits.

Sans doute, la fiction est-elle toujours, par quelque endroit, un mensonge, en ceci quelle n’a pas sa correspondance exacte dans la réalité ; et la fiction est l’âme de la poésie. Mais au sein, même de la fiction (et c’est ce qui la différencie de l’incohérence du rêve), il y a une cohésion, une intention, une direction, une harmonie, où la fixité des racines, et, par conséquent, la mémoire héréditaire a sa part. Les fictions les plus importantes sont les légendes, qui fixent les caractères ethniques, et auxquelles la critique moderne reconnaît un rôle stabilisateur. Voir, à ce sujet, les beaux travaux de Joseph Bédier.

La médecine a forgé récemment le terme de « mythomanes », qu’elle applique aux individus travaillés par le besoin irrésistible d’imaginer des histoires mensongères et des circonstances dramatiques. Ce besoin dérive, en général, d’une activité verbale déréglée, ou exagérée par l’instinct génésique, qui n’a point son issue dans une œuvre littéraire et se répand sur la vie courante. On suppose aisément les dégâts qui en résultent. Corneille a écrit le Menteur. C’est un sujet inépuisable. On peut dire, en effet, que la mythomanie (si mythomanie il y a) et le mensonge commencent avec le mot et l’expression de la pensée à l’aide du mot.

D’une façon générale, il y a les mots, les phrases que nous prononçons, et il y a ce que nous pensons pendant que nous les prononçons. Le langage intérieur ne correspond pas toujours au langage