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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

taires correspond un langage moulé, en quelque sorte, sur ces apparitions. Le mot, image d’images, y est essentiel et étymologique. La phrase y reflète la vie originelle des maîtres de vocables qui la composent. J’appelle « maîtres de vocables » ces fragments animés de la mémoire héréditaire, que nous avons vus présider à la première empreinte des mots, et que ranime, précise et délimite encore la mémoire individuelle. Je vous recommande, à ce point de vue, la lecture d’un véritable monument linguistique : Le Trésor du Félibrige, de Frédéric Mistral. Ce grand poète (un des plus grands que l’humanité ait connus) attachait, avec raison, une importance primordiale au langage. Il retrouvait ses aïeux et leurs usages dans les mots, qui sont en nous leur survivance et leur prolongation au second degré. Cette vénération est apparente dans ce puissant et sagace ouvrage, que mon père relisait sans cesse, et qu’il ne se lassait pas de commenter. Car Alphonse Daudet, lui aussi, aimait les mots et il m’apprenait à les aimer, à les comprendre, à les choisir, à ne pas les galvauder.

Nous avons envisagé le mot comme excitateur. Il peut être aussi un soulagement. Il peut être, comme dans le juron, les deux à la fois. Les hommes qui peinent physiquement, les travailleurs manuels, les êtres gênés, comprimés, pris dans une servitude ou une douleur quelconque, jurent plus fréquemment que les autres et y éprouvent une satisfaction réelle. Les adjurations exclamatives ont