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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

Rolland par exemple) me guettait. Ainsi Drumont m’arracha à Burdeau. Il fit de même pour beaucoup de ceux de ma génération. La force sombre, qui est dans son œuvre, a été certainement bienfaisante. On ne peut pas dire de lui qu’il soit constamment un bon écrivain, car son humeur emporte son style. Mais il est, par moments, un magnifique écrivain, et en voilà un, encore, qui sentait en lui ses ancêtres !

Le mot est ainsi une prolongation de l’homme, de ses ancêtres, de sa race, de l’espèce. À chaque échelon, ou plan de la mémoire héréditaire, il subit une transformation, bien que sa racine demeure intacte. C’est ce qui explique qu’il n’y ait pas ici-bas de plus grand tourment que l’interdiction de s’exprimer dans sa langue, que l’aphasie ethnique imposée, telle que la pratiquèrent les Allemands en Alsace-Lorraine et en Pologne. Rien n’est plus dur que l’exil verbal, et, pour y échapper, les hommes préfèrent obscurément la mort.

La pensée que j’exprime, ici est en général assez méconnue. Elle était au fond de l’œuvre mistralienne, et les Alsaciens-Lorrains de l’Entre-deux-guerres ne s’y étaient pas trompés. Le Dr  Bucher, (pour qui les questions de psychologie ethnique n’ont pas de secrets), avait organisé à Strasbourg un musée alsacien, sur le type du musée arlésien. Maintenir les mots, par la vue des choses qu’ils représentent, est un bon moyen. Ce qui condamne à mort les doctrines internationales, c’est leur méconnaissance de l’importance primordiale du langage et