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LE MONDE DES IMAGES.

de ses attaches nationales. Là est l’enfantillage, là le néant d’une thèse rudimentaire, uniquement fondée sur la mise en commun des appétits et des besoins matériels. Le besoin, le désir, à l’occasion, la fureur de s’exprimer dans sa langue est au fond de l’être humain, avec la violence explosive de toutes ses énergies héréditaires accumulées. Ce sont des centaines d’êtres qui combattent, en chacun de nous, à chaque minute de notre existence, pendant la veille comme pendant le sommeil, pour cette adaptation et identification rapide, souveraine, de ce qui nous environne à ce qui nous emplit. Nommer, c’est connaître, situer et aussi retrouver. Dans tous les mots d’une langue, même exprimant la haine, c’est l’amour, c’est l’attraction qui domine. Le verbe est un lien, comme la croyance (religion).

La hantise de certains mots se remarque en plusieurs écrivains et existe chez bon nombre de personnes, de façon plus ou moins dissimulée. Elle correspond toujours à un trouble de la gravitation des personimages devant le soi, et notamment à un ralentissement des opérations héréditaires profondes, qui substituent telle figure dominatrice à telle autre, dans l’esprit-corps. Bon nombre d’éclipses aphasiques aboutissent à la persistance d’une seule locution ou d’un seul mot, assez souvent d’un juron (cas de Baudelaire). Il faut rapprocher de ces faits les explications verbales imaginées par maints savants, et auxquelles ils s’attachent avec d’autant plus d’ardeur qu’ils les sentent plus fragiles et caduques. On