Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
LE MONDE DES IMAGES.

peu de pensée. Chez ces trop riches en numéraire verbal, et très pauvres en sensibilité vraie, comme en raisonnement, on remarque ainsi une véritable démonétisation du langage. Vingt synonymes, éclatants et truculents, donnent à l’esprit du lecteur une impression de faiblesse et d’égarement. De loin c’est quelque chose et de près ce n’est rien. Le modèle de ces néants ornés est fourni par les poèmes dramatiques de feu Edmond Rostand, d’une si grande vogue, où un moignon de sujet disparait sous les bandelettes multicolores des mots. L’extraordinaire fragilité de ces châteaux de vocables apparaît en ceci qu’ils s’éboulent instantanément dans la mémoire, laissant une déception proportionnelle au charme incontestable de la première surprise. Il y a comme cela de fins causeurs, qui vous tiennent pendant toute une soirée sous le flot de leur éloquence. Mais réfléchissez, le lendemain, au résidu de ce feu d’artifice : un fumeron sur un bout de bois.

La littérature descriptive, où tant de mots et de mots sont juxtaposés en vue d’exprimer la couleur, l’odeur, la forme d’un paysage, laisse, elle aussi, un terrible déchet. Rien n’est désuet comme la sensation, quand elle est indéfiniment renouvelée par une accumulation de termes rares et chatoyants. À force de pincer toutes les cordes symphoniques, on aboutit à une sorte de couac. Chateaubriand, avec toute sa pompe, avait commencé à galvauder l’univers : ses forêts, ses fleuves, ses solitudes. Hélas,