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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

il a eu des imitateurs. En art, la prolixité est un fléau.

Elle en est un aussi en histoire, et je n’en connais pas de plus saisissant exemple que la multitude de volumes consacrés par Frédéric Masson à Napoléon Bonaparte et à son entourage. Le tombeau des Invalides est peu de chose, à côté des blocs de pierre pesante, sous lesquels le plus assidu des académiciens a écrasé, concassé, trituré la mémoire du grand hérédo dévastateur du début du XIXe siècle. Quand on a seulement parcouru ces carnets de blanchissage, notes de vidange, mémoires d’entrepreneurs, bilans de législation et de batailles, répertoires de coucheries et autres, on ne distingue plus rien de l’amant de Joséphine, du vainqueur d’Austerlitz, ni de l’exilé de Sainte-Hélène. Il est redevenu un bonhomme quelconque.

Ci-gît à nouveau Bonaparte, assassiné par son historiographe.

Le talent m’apparaît ainsi comme un équilibre entre les mots, images d’images, et ces images intérieures que nous appelons les idées, elles-mêmes empruntées à nos personimages.

Le génie est une intuition (observation à travers une personimage, observation à la seconde puissance), qui nous porte à la racine des mots (mémoire héréditaire), en même temps qu’à la racine des choses.

Le mot, véhicule de la pensée, est aussi véhicule de la force, de toute énergie émanant de l’homme.