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LE MONDE DES IMAGES.

coup de conjecture. Eh ! sans doute ; mais la conjecture, si paradoxal que cela semble, est un élément de la certitude ; et il n’y aurait point, par exemple, de loi scientifique, sans cette conjecture implicite que la même cause produit toujours, dans les mêmes circonstances, le même effet. À y regarder de près, la conjecture est elle-même un ébranlement en nous de la mémoire héréditaire, qui nous assure que le soleil brillera demain, que l’homme se tiendra encore debout sur deux jambes terminées par deux pieds, et que les mots de notre langue signifieront à peu près ce qu’ils signifient. La conjecture est une confiance dans l’équilibre rationnel, universel de l’avenir, confiance issue des nombreuses expériences identiques de nos ancêtres. Dans certaines folies affectant la mémoire héréditaire, cette confiance disparaît. Ni l’art ni la science n’existent plus alors pour l’esprit dérangé, qui suppose que demain, tout à l’heure, l’homme pourra marcher la tête en bas, la pierre lancée en l’air pourra ne pas retomber, etc…

Je considère la Sapho de mon père comme une œuvre très importante, ainsi que je l’ai dit. Je lui demandai : « Quelle fut la genèse de ce roman dans ton esprit ? » Il me répondit : « Un écriteau de location, qui se balançait à la grille d’une villa, par un jour pluvieux d’automne, aux environs de Paris. Cette impression de sensibilité morcelée, de vide, d’abandon, a réveillé en moi toutes les illusions et les tourments de ma jeunesse. » Alphonse