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L’ÉLIMINATION DES PERSONIMAGES.

diurne, l’autre d’origine nocturne. Cette ambiguïté, comme toutes les autres ambiguïtés morales et psychiques, est une cause de dissimulation. Il y a des humains qui pensent leurs pensées, et d’autres qui pensent à la fois leurs pensées et leurs rêves ; de même que l’écrivain, tout en vivant et réfléchissant pour lui-même, vit et réfléchit à la place de ses personnages fictifs. Cette tournure d’esprit se traduit, dans le langage, par l’équivoque et l’allusion ; une allusion caractérisée en ceci que celui qui l’émet la sait indéchiffrable pour son auditeur (ou pour son lecteur) et qu’elle n’est intelligible que pour lui-même. Tout allusioniste habituel est un grand rêveur, au sens physique et nocturne du mot.

L’intervention d’une volonté étrangère dans le rêve et le sommeil (c’est-à-dire la suggestion hypnotique) n’a rien d’invraisemblable, après ce que nous venons de dire, ni de singulier. Néanmoins cette intervention est plus courte que ne l’imaginaient l’école de la Salpêtrière et celle de Nancy, beaucoup plus courte que celle de l’ordre donné, ou de la persuasion à l’état de veille. La suggestion, pour être efficace, exige une certaine parenté, ou affinité, entre les personimages animant le vouloir de celui qui suggère, et les personimages du suggéré. L’ordre et la persuasion à l’état de veille s’en passent fort bien.

Ce qui est plus intéressant, c’est le cas de domination d’un être par un autre, en dehors, bien entendu, de toute attraction sexuelle, même dissimulée sous une admiration intellectuelle ou mystique.