Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/90

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riens, de l’Andromaque dans beaucoup d’héroïnes de Racine, une même issue de l’or parmi l’ombre chaude, dans plusieurs toiles de Rembrandt, un même accent de déchirante mélancolie dans beaucoup de compositions et sonates de Beethoven. Le retour de la même hantise intérieure amène des procédés presque identiques de création littéraire, picturale, musicale. Le poète le plus sublime et le plus abondant n’est pas fait de plus d’une douzaine de cycles intellectuels et sensibles, que ramènent ses personnages intrapsychiques.

Supposez que le rouleau s’accélère. C’est aussitôt la confusion mentale et morale, accompagnée de troubles organiques. Supposez qu’il se ralentisse à l’excès, c’est l’obsession, avec ses stigmates physiques.

Frédéric Nietzsche est un exemple d’accélération tératologique des personimages, vraisemblablement sous l’action du tréponème, héréditaire ou acquis. Les changements brusques de direction et de tension de ses visions littéraires et philosophiques sont une cause de fatigue et de dégoût pour le lecteur. Même avant qu’il n’ait sombré dans le gouffre, sa frénésie de pensée touche au délire, et cette pensée est divergente, telle que projetée sur le papier par un accident, dépourvue d’ordre et de méthode. Elle sourd, de ses préoccupations du jour, ainsi qu’une série de geysers hétérothermiques. On a l’impression que le renvoi d’une bonne, ou un orage soudain, eussent pu modifier sa vision de l’univers brusquement.