Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

« moi, moi, moi », de tous les moitrinaires, qui se regardent pâlir et vieillir dans leurs miroirs ternis et écaillés.

Personne ne lit plus le Génie du Christianisme, ni Atala, ni René, ni (d’ailleurs injustement) la Vie de Rancé. Mais on lit encore les Mémoires d’Outre-Tombe, pour la splendeur de leurs cadences ; et l’esprit d’hypocrisie profonde, qui est au fond de Chateaubriand, revit, par mimétisme, chez nombre de nos contemporains et contemporains. Que ce comédien magnifique ait été pris pour un héros véritable, et que cette erreur ait recommencé pour Hugo, voilà qui justifie (au chapitre de l’inclairvoyance) notre accusation de stupidité, portée contre le siècle « des lumières ». Sainte-Beuve lui-même, qui ne respectait pas beaucoup de gens, parait avoir hésité, dans son fameux cours sur Chateaubriand et son groupe littéraire, devant la vérité crue quant à cette idole. Il n’ose extraire l’abondant comique des « drapés pour la postérité » du mort du grand Bé. Il prend son tœdium vitæ au sérieux. Nous aurons souvent l’occasion de voir que l’absence d’un Molière au XIXe siècle s’est fait cruellement sentir. Pour la plaie durable du romantisme, le meilleur antiseptique eût été le rire. Or le dur Sainte-Beuve est rarement joyeux et le grand Veuillot n’a jamais su rire. Quarante années de larmoiement, de vague à l’âme et de désolation égocentrique, n’ont pas amené la réaction attendue d’un bon vivant, suffisamment armé pour l’observation satirique, et qui eût remis les choses au point par le ridicule. Cette lacune, qui