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L’ABERRATION ROMANTIQUE

sincérité, puisque la comédie de la sensibilité, ou de la sensualité, devient indispensable à quiconque veut émouvoir continûment, sans être ému lui-même, ou au delà de sa propre émotion. En fait, le romantisme, en littérature comme en politique, est l’école du mensonge et de l’hypocrisie. Il n’est pas de plus grand Tartuffe que Victor Hugo. On aurait pu le conjecturer d’après son œuvre, sans rien connaître de sa biographie.

Chateaubriand a donné le branle, il faut le reconnaître, avec sa somptueuse insincérité et une éloquence assise (disait Alphonse Daudet) qui, même après Rousseau, avait des allures de source jaillissante, de déraidissement de la nature au premier printemps. Il a joué de la mer, du clair de lune, de l’éloignement et des tombeaux, avec une magie descriptive que son dernier disciple en date, Pierre Loti, a imitée et côtoyée, sans jamais l’égaler. Cela tient à ce qu’il y a, en Chateaubriand, une formation classique, une période à la Tite Live, reprise abruptement par une rapide image à la Tacite, et qui joint les plaisirs de l’ellipse à ceux de la redondance. Il n’est rien de plus magnifique, et comme l’a noté justement Maurras, avant Lemaître, rien de plus décevant. Chateaubriand a donné le branle à cette affectation de la lassitude de vivre, jointe à une peur panique de la mort, dont l’agaçant et continuel refrain grince pendant tout le cours du siècle, où les hommes se sont le plus entre-tués. Il inaugure le grand cabotinage littéraire. Il est le grand père de tous le