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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

l’éprouve, et dore et orne sa prose, ou ses vers. C’est la mélancolie de Chateaubriand. On sent qu’il n’y aurait pour elle de pire disgrâce que d’être privée d’aliment, par la réussite imprévue de ses aspirations vagues.

Le manque de simplicité, le côté « dessus de pendule » que l’on remarque en Chateaubriand, ne lui est point particulier. Il fera partie du bagage romantique et donnera à toute l’école quelque chose d’apprêté, d’insincère, contre quoi essaieront de réagir, plus tard, Stendhal, Mérimée, Jacquemont, contre quoi réagira efficacement le dévorant génie de Balzac. Le grand mérite, selon nous, de l’auteur de la Comédie Humaine, aura été de séparer le beau véritable de l’affectation grandiloquente du beau, et aussi de détacher l’auteur de son œuvre, par le dialogue, la peinture des caractères et des sentiments, envisagés en eux-mêmes, non plus seulement par rapport à leur peintre. Les récits de Chateaubriand ne sont que des effusions, des transpositions de son obsédante personnalité. Ce personnalisme exagéré, et exaspérant à la longue, est issu de Rousseau, et, par delà le pervers genevois, de la Réforme.

« Je suis un homme extraordinaire, un individu comme il n’y en a jamais eu, comme il n’y en aura sans doute jamais plus. Quel dommage que je ne sois pas immortel ! » Ces deux phrases implicites reviennent dans mon esprit, chaque fois que j’ouvre un livre de Chateaubriand ou de Hugo, et elles se superposent à ma lecture. Ce fond d’enfantillage enlève au lecteur cette sécurité que donne une page