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L’ABERRATION ROMANTIQUE

d’un bon auteur du XVIe et du XVIIe, au temps que régnait l’humanisme, antidote de l’apitoiement sur sa propre destinée. L’humanisme, qui proportionne les efforts de l’âme humaine (comme son nom l’indique) dans sa résistance à la nature, est le contraire du romantisme, qui se dresse brusquement et orgueilleusement devant la nature, pour lui céder tout d’un seul coup. C’est ce qui fait que le romantisme, encore chrétien avec Chateaubriand, devient panthéiste avec Hugo et Michelet. On suit aisément la pente du Génie du Christianisme à la Légende des Siècles et à la Femme, à la Bible de l’Humanité et à la Mer. Qu’est-ce, en somme, que la civilisation ? C’est, comme l’humanisme, avec lequel elle se confond, l’obstacle de l’être pensant, de la raison, équilibrée et réfléchissante, aux forces aveugles de la nature, dont le dépôt en nous est l’instinct. Cet instinct appelle la nature, et celle-ci renforce l’instinct. C’est pourquoi tous les panthéistes aboutissent à la divinisation de l’instinct, à l’apologie de ce qu’il y a en nous de trouble et d’imprécis, bien que moteur. Chateaubriand, c’est le premier élan (tempéré par une nostalgie traditionnelle) pour ce saut dans l’absurde qu’accomplirent magnifiquement, à la façon d’un tour de force réussi, Hugo et Michelet.

Une aberration vigoureuse trouve toujours, pour s’exprimer, un torrent de mots. Le romantisme, bavard comme un enfant menteur, a rapidement séduit un nombreux public, par l’étalage de ces grands sentiments d’abandon et de relâchement,