Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/166

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posthume et d’un rachat des consciences, tout ce que mon enfance avait appris, tout ce qui est ma foi, le plus pur de moi-même, mon seul trésor, mon viatique. Parfois il avait un petit hochement de tête, incrédulité ou étonnement, mais ce n’était plus son attitude impie, sa négation universelle de jadis. Je considérais ces narines pincées, ce beau front où les cheveux prenaient des courbures de révolte, et je songeais combien les convictions scientifiques sont chose fragile aux heures graves. Au tressaillement de ses doigts, à la vibration de tout son être, je devinais qu’il commençait à entrevoir des contrées inconnues et lumineuses. Le ciel s’ouvrait pour son âme héroïque. Il m’interrompit : « Je halette. C’est la fin. Le pouls cesse. Adieu et merci. » La lampe qui nous veillait s’éteignit à la même seconde, et il perdit la lumière dans le noir, le courageux, le noble, l’admirable Misnard. Quand j’eus rallumé, je m’agenouillai près du lit : « Seigneur, tu ne peux repousser ceux qui t’ont méconnu en nom et en personne, mais qui t’ont gagné par le sacrifice. Accueille celui-ci dans ta miséricorde. Il est à toi, bien qu’il t’ait renié, et tu vivais en lui sans qu’il s’en aperçût… »

Je suivis le convoi par les rues froides et brumeuses. Dabaisse, Charmide et quelques internes marchaient recueillis derrière le cercueil. Mais la foule des indifférents causaient de leurs petites affaires, de leurs concours et compétitions, de ceux qui avaient bien léché les pieds, et de ceux qui les avaient mal léchés, et je ne comprenais point cette métaphore. Au cimetière, Crudanet et Cloaquol lurent quelques pages vides et prétentieuses, où il était question du devoir médical : … Bel exemple, — Route du progrès, — Splendeurs laïques. Après la dernière pelletée de terre, et comme l’assistance s’écoulait, je vis une femme en noir, porteuse d’un gros bouquet, venir le poser pieusement sur la tombe, et je reconnus la compagne du croup.

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