Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/201

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tissent ainsi aux affirmations les plus burlesques, les plus sauvages. Combien la simple pitié, qui nous fait nous sentir de communion avec tous les êtres animés, est plus belle que cette sèche et brutale doctrine de l’Évolution et la rend inutile !

Quant aux futurs docteurs, mes condisciples, on les bourre de formules toutes faites, suivant des procédés infaillibles. On leur apprend à ne jamais rien juger par eux-mêmes, mais toujours d’après la parole du maître. On favorise la formation, chez eux et entre eux, d’associations et de petits parlements baroques, sur lesquels leurs professeurs ont la haute main. Quand ils sortent de là, ils sont mûrs pour la servitude, munis d’arguments spécieux, d’axiomes vides, d’une fausse expérience. De plus, ils ont le perpétuel et dissolvant spectacle de la corruption et de l’intrigue. Ils n’ont vécu, jusqu’à l’âge adulte, que dans l’atmosphère factice, étouffante et vicieuse du collège, où la plupart dorment, mangent et travaillent, privés du contact de leur famille. Ils passent de là à une Faculté qui montre les avantages de la domestication, la force irrésistible de la platitude et de l’or. À chaque instant, ils voient triompher le retors, le scélérat, évincer celui qui n’a pas déployé la malhonnête adresse nécessaire. Comment échapperaient-ils à pareille pression ? Ils finissent par trouver le monstrueux naturel, adoptent et prêchent un optimisme veule, se guident par l’envie jalouse, haïssent et fuient les indépendants.

Ah ! comme il eût mieux valu pour eux vivre à la campagne, labourer, semer, greffer, jouir des oiseaux, des arbres et des sources, faire quelques heures par jour un métier naïf, plutôt que de se réunir dans des locaux sinistres pour y discuter des statuts, des simulacres de Parlements et d’Académies, plutôt que de singer les vilains singes qui les gouvernent !…

Je prenais mes repas à une petite pension avec des camarades. La nourriture était douteuse ; l’eau fade et