Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/229

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Je descendis l’escalier quatre à quatre. Devant ma demeure une foule de gens couraient, hommes et femmes, bousculés par une équipe de gardes de police. Ceux-ci se précipitèrent sur moi. J’invoquai ma qualité d’étudiant : « Votre carte d’inscription !… C’est bien. Portez-la d’une manière apparente, car une épidémie est déclarée. Nous menons les passants aux prisons. » La rue était déserte et l’on percevait toutefois des gémissements, un sourd tumulte de fourmilière. J’aperçus un chien mort qui bavait. Je me jetai, affolé, dans la direction de la Faculté. Des sonneries aigres retentirent : au triple galop défila un cortège de perquisiteurs sanitaires et de pompes désinfectantes. Une femme bondissait en criant d’une maison. Elle tenait un enfant dans ses bras. À un mètre de sa porte, elle tomba sur le sol, en proie aux mêmes convulsions désordonnées que Savade. Je me sauvai par plusieurs ruelles au hasard. Je suais à grosses gouttes. J’avais perdu le chemin. Les statues que je croisais s’animaient, menaçantes. Une âpre rumeur lointaine m’angoissait plus que tout, par l’idée d’une multitude qu’envahissaient aussi vite les fléaux. Enfin j’atteignis la Faculté. Je me ruai dans la cour. Elle était pleine de monde. Tous les professeurs étaient là et parlaient à la fois, discutant la catastrophe soudaine, les mesures à prendre. Bradilin avait constaté le vol de ses bocaux. Les quartiers proches du fleuve étaient atteints avec furie. Il me parut que ces docteurs, qui s’agitaient confusément et se demandaient des détails de l’un à l’autre, avaient l’air très inquiet pour leur compte. On s’arrachait un journal de Cloaquol qui donnait déjà la marche du tourbillon par éditions successives. On ferma la grande grille de l’École et personne ne put pénétrer que sur présentation de sa carte. Les élèves arrivaient en foule. Ils racontaient la mort de plusieurs d’entre eux. Chacun proposait son avis : sur la cause, d’abord : la coïncidence du péril avec le vol frappait les esprits, mais quelques savants discutaient et niaient la transmission