Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/230

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aussi immédiate : « Si, si ; c’est une épidémie de laboratoire, affirmait très haut Boridan. — Non, c’est né sur place, né chez les pauvres, les sales pauvres ! » On accusait l’hôpital Typhus et la malpropreté de Tabard. Crudanet survint, radieux, gesticulant au milieu d’une trentaine de ses collègues qui l’interrogeaient : « Il faut organiser de suite, non les secours, on n’y peut songer, mais la désinfection en grand de la cité. L’eau du fleuve est interdite, et quiconque y boira sera puni de mort. » Certains préconisaient, d’une voix chevrotante, le massacre de tous les habitants dans les endroits les plus dangereux, le bombardement des infectés. Beaucoup reculaient devant cette mesure, la jugeant trop hâtive. À chaque seconde, un nouveau témoin apportait quelque affreux récit ; des familles entières fauchées en cinq minutes ; des gens qui se précipitaient par la fenêtre pour échapper aux douleurs. On distinguait sur les cadavres des lésions de choléra, de morve et de fièvre jaune. Les aventureux croyaient à une maladie nouvelle. Le professeur d’épidémies était très entouré, mais il ne pouvait avoir d’opinion, n’ayant pas eu la chance de voir une seule victime, affirmait-il avec calme. Bref, on soumit au vote, au milieu du tumulte, les trois motions suivantes qui furent adoptées séance tenante :

1o Les médecins se tiendront à l’écart et laisseront l’invasion décimer les malades riches et pauvres. Il serait insensé de hasarder la classe supérieure morticole pour un bénéfice illusoire, car la marche du contage est si aiguë que tous les soins seraient précaires ;

2o Empêcher par la force les riches de sortir de chez eux. Conduire en prison ceux qui désobéissent. Envoyer, dans tous les domiciles, des escouades sanitaires chargées d’inonder d’antiseptiques, de flamber les objets de literie, les vêtements, meubles, etc., d’achever les agonisants et les suspects ;

3o Brûler les quartiers pauvres contaminés. Interdire