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CHAPITRE III


Le jour de la fête de la Matière, nous rôdâmes par les quartiers pauvres, dégoûtés d’une cérémonie trop connue. Les ruines fumaient encore. C’étaient des plaines de pierre, des éboulis tièdes, des pans de mur noirs où se trouvait inscrite, par des débris de papier de couleur, la misère des bouges dévastés. Là clopinaient des chiens à l’œil fauve, en quête d’une pitance cadavérique. La demeure de Bryant faisait partie du lot incendié. Un dernier chagrin nous tourmentait. Il était invraisemblable que le capitaine Sanot eût échappé à l’épidémie. Désormais nous le considérions comme perdu.

J’exposais à Trub ma lamentable situation pécuniaire, quand nous rencontrâmes Jaury : « Bonjour, camarades, nous dit-il. Vous n’êtes pas aux fêtes ? C’est très mal. Canelon, comment vont les études ? Elles sont un peu bousculées depuis une semaine. » Trub lui confia ma détresse : « Cela tombe à pic ! s’écria Jaury. Un des collaborateurs de Cloaquol quitte le Tibia brisé. Voilà une place vacante. Postulez. Je vous offre un mot de recommandation. Ce n’est pas très payé, mais c’est suffisant. Puis, j’espère que le directeur vous acceptera, car il y a un cadavre entre nous. Vous serez sa rançon. »

Muni d’une lettre, j’allai immédiatement sonner à la porte du petit hôtel qu’habitait le maître de la presse morticole. Un domestique à l’œil rusé, à la bouche fendue