Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/242

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l’épidémie heureusement terminée, les médecins pouvaient reprendre le cours de leurs travaux : « Messieurs, nous avons le contentement suprême d’avoir accompli tout notre devoir. »

Je ne fus pas fâché de quitter cette École où nous étions empilés depuis trois jours. Au dehors, la cité était tranquille. Seule, une odeur fade et forte à la fois, mêlée de mort et de phénol, rappelait le désastre. On nettoyait les places, les statues, les trottoirs, les maisons. J’écoutais les conversations des passants et des concierges. Elles faisaient allusion à l’aventure avec une crainte superstitieuse, et, suivant les prédictions de Lestingué, le respect des médecins augmenta. On faisait l’éloge des Académies, de la Faculté, du Secours universel, surtout de Crudanet, dont la sagesse avait circonscrit rapidement le fléau. En outre les survivants ne paraissaient point regretter les morts. Les affaires marchaient, un grand mouvement s’étant fait dans les héritages et les Compagnies d’assurances. La Bourse et les spéculateurs, coulissiers, remisiers, agents de change, banquiers, vermine de tout poil et de toute fraude, profitaient de la baisse de la population que compensait une hausse du papier en cours et de la monnaie.

Je changeai d’appartement, ne voulant plus habiter celui où était mort si misérablement Savade, que la mère Pidou me raconta avoir été enlevé, une demi-heure après mon départ, par les scaphandres sanitaires. Je pris un logement plus modeste ; mes ressources commençaient à s’épuiser. Je revis Trub avec bonheur. Il n’avait rien su de l’épidémie, en quelque sorte, car, dès le début, on avait fermé les portes de l’hôpital, avec défense de laisser entrer ou sortir personne. Il avait été inquiet de moi, et il m’embrassa, les yeux pleins de larmes. Je lui appris la fin tragique de Louise et de Serpette.