Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/255

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précédée de l’été morticole, c’est-à-dire d’un soleil un peu moins froid et d’une lumière un peu moins terne. Quand je songeais aux admirables journées de ma patrie, dorées et chaudes, prolongées jusqu’aux approches d’une nuit divine et gazouillante d’oiseaux, mon cœur se serrait. Je souffrais du manque de nature. S’il s’était trouvé, en dehors de cette ville néfaste, une forêt, une source, un ruisseau, je serais allé avec délices m’asseoir sous un grand arbre dont le feuillage frémit, tremper mes mains dans l’eau courante. Mais c’était un rêve. Nous n’avions autour de nous que des terrains pelés, désolés, comme les consciences de ceux qui ne les cultivent pas, des stations thermales où l’on rencontrait toutes les maladies des riches et toute la cupidité des docteurs, multipliée par la distance, la nécessité de faire fortune sur un nombre restreint de clients. Je les admirais quelquefois ces médecins des eaux, dans le cabinet de Cloaquol. Ils discutaient une de ces annonces mensongères qui sont la fortune du Tibia brisé. Ils attendaient pendant des heures. Ils supportaient patiemment le caractère bourru, le langage injurieux et cynique de notre directeur. Ils étaient plus vils encore que leurs collègues de la cité.

Je commençai par subir un examen ; c’est-à-dire qu’assis derrière une table verte, Bouze et quelques autres me demandèrent les noms de substances vagues et desséchées que l’on me présenta dans des flacons poussiéreux. Je me tirai de mon mieux de cette simple formalité.

L’époque des Lèchements de pieds de tous les degrés approchait, et il n’était question que de ce redoutable appareil. Mes camarades en parlaient sans cesse, supputant les chances des uns et des autres, échangeant des conseils contradictoires. Les internes de l’hôpital Typhus affirmaient cette première épreuve facile. Elle nécessitait simplement de la bonne volonté, de la tenue, et un manque d’odorat qu’on pouvait obtenir artificiellement à l’aide de drogues dont j’eus les recettes. Mais, découverte, cette supercherie