Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/281

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une rancune secrète accumulée par les dépenses de Mme Sarah. D’un ton sec et brutal, il leur disait : « Déshabillez-vous. » Puis il s’impatientait : « Faudra-t-il que je vous aide ? Vous ne savez pas dégrafer votre corset ? La chemise aussi… oui, la chemise… Êtes-vous sourde ?… Vous cherchez vos bas !… Je ne les ai pas volés, vos bas ! Je ne les collectionne pas, les bas ! Allons, des larmes ! Qu’on m’apporte mon urne ! » Son succès était fait de cette sauvagerie. Il éprouvait une jouissance à prédire des maux accablants, inéluctables : « Ta, ta, ta, ta. Cortirac a dit que vous guéririez ?… Ah ! ah !… C’est un bel âne, Cortirac ! Vous êtes un homme, n’est-ce pas ? Vous savez que vous n’êtes pas immortel. Eh bien, vous n’en avez plus pour deux mois. Mais vous êtes foutu, mon ami, absolument foutu ! Regardez-moi vos varices. Sont-elles assez ignobles ! Voilà ce que c’est de faire la noce quand on est jeune ! Moi, je me suis ménagé, aussi je suis robuste comme un chêne… Hein, quoi ? Si vous devez faire votre testament ? Mais à coup sûr et plutôt deux fois qu’une. » Il brusquait et épouvantait les enfants : « Et ce mioche-là… Avance, idiot… Retire les doigts de ton nez… Son père est mort gâteux ? Il tient de lui… Porte la main à ton front, à — ton — front. Vous voyez, il n’entend point. En avez-vous d’autres ? Non. Tant pis. Vous ne l’élèverez pas. » Je m’étonnais qu’un de ceux qu’il condamnait ainsi en plein visage ne lui sautât pas à la gorge, pour faire d’une prédiction deux morts. Il portait le pronostic fatal, sans même examiner son client. L’argent, l’argent, l’argent ! Tel était son amour du métal qu’il en avait dans le regard le reflet, la fixité, la dureté.

Cependant, Trub, exalté par le récit de mes gains, se proposait de quitter le service de Dabaisse et l’hôpital Typhus, et d’entrer comme domestique chez un docteur. On le recommanda à Avigdeuse. Nous ne nous voyions qu’à de rares intervalles. Mes journées du dimanche étaient retenues par mon maître qui, trouvant mon écriture élé-