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CHAPITRE II


Nous arrivions devant une porte close, la cavalière, haute et cintrée, majestueuse, au-dessus, de laquelle étincelaient en lettres d’or ces mots : HÔPITAL TYPHUS et une devise : liberté, égalité, fraternité. À côté, la petite, la piétonne, était entrebâillée. Nous enfilâmes un étroit corridor. Un grand vieillard sec, le directeur, vint à notre rencontre ; criant et levant les bras au ciel, il assura qu’il n’aurait pas de lits pour tant d’étrangers, que ses salles regorgeaient, qu’il fallait qu’une partie d’entre nous allât chercher fortune ailleurs. Notre guide se rendit à ces observations. Il choisit les cinq premiers, dont j’étais, et nous sépara de nos compagnons, qui firent demi-tour. Déchirants et brefs adieux ! Sur une terre inconnue, des compatriotes sont comme les branches d’un même arbre. J’embrassai en pleurant le capitaine Sanot.

Après bien des marches et contremarches, on nous poussa dans une vaste salle vide à fenêtres ternes : pour unique meuble, une table couverte de paperasses. On nous laissa seuls. J’en profitai pour adresser à mes quatre compagnons une courte harangue, les conjurant de ne s’étonner de rien, de ne se révolter contre rien et de supporter tranquillement des épreuves sûrement moins dures que la quarantaine. Les rassurant ainsi, je me rassurais moi-même, mais je faisais une drôle de figure intérieure. La porte s’ouvrit brusquement devant une dizaine de jeunes