Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/331

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tête. J’ai bien fait, qu’il a dit en finissant. Je regrette rien. »

Tous partirent. Les domestiques poussaient des lamentations hypocrites. Puis accoururent les parents, qui se mirent à débattre des questions d’argent autour du cadavre à peine refroidi et à inventorier l’hôtel. J’étais voué aux catastrophes desséchées…

Je restai une semaine sur le pavé, cherchant une place de côté et d’autre. Trub, valet de chambre d’Avigdeuse, ne pouvait m’aider. Ce fut encore Jaury qui me tira d’affaire. Il me trouva un emploi intermédiaire, semblable à celui que j’occupais auprès de Wabanheim, chez le fameux Clapier, docteur aussi recherché de ses clientes qu’il est jalousé de ses collègues. J’entrais là dans une maison confortable, dont le propriétaire gagnait de deux cents à deux cent cinquante mille francs par an. Clapier était un bel homme à favoris blancs, aux manières affables et obséquieuses ; mais sa bouche impérieuse et plissée, son regard de côté, et certain geste par lequel il passait et repassait ses mains soignées dans sa chevelure décelaient la dureté morticole. Il était couvert de parfums, portait des mouchoirs brodés, des redingotes magnifiques et des portefeuilles à coins de diamant. Ses salons d’attente respiraient une sorte d’austérité capiteuse ; son cabinet de consultation renfermait deux canapés-lits et un paravent, à l’usage de ses jolies clientes. Il avait épousé une ancienne cuisinière, grosse femme simple et naïve ; mais il en était honteux et la tenait à l’écart, dans une domination terrifiée.

Quand je me présentai devant lui, il me demanda mes états de service : « Wabanheim, Sorniude, Pridonge ! Sapristi, vous collectionnez les drames, mon garçon ! J’espère qu’ici vous aurez la vie plus calme. Ce que je vous recommande tout d’abord, c’est la discrétion. — Cette formule me devenait familière. — J’ai dû congédier vos prédécesseurs parce qu’ils avaient la langue trop longue. » Il m’indiqua sur-le-champ les services qu’il attendait de