m’arrêtaient par un bouton de mon uniforme, me tenaient des discours incohérents qu’il fallait écouter avec patience, sous peine de les exaspérer.
Au bout du jardin, s’élevait un hangar où l’on reléguait les animaux fous, car les bêtes subissent la pression sociale et se détraquent comme leurs maîtres. Je vis là des chiens qui avaient tenté de se suicider et qu’on devait nourrir de force, des chats mélancoliques, aux regards remplis de douleur, enfin un perroquet furieux, qui se précipitait impétueusement sur les barreaux de sa cage et les mordait. Il avait appartenu à une vieille gâteuse, enfermée dans l’autre corps de bâtiment, section des femmes. Quelquefois une falote tête grise apparaissait à une des fenêtres de ce domaine où nous n’avions pas le droit de pénétrer et vociférait des imprécations. Alors on entendait, en écho, une voix de fausset, nasillarde et troublante. C’était le perroquet qui reconnaissait l’accent de sa maîtresse et lui répondait dans son langage…
Un matin, le maître nous fit appeler, Lambert et moi. Je retrouvai le cabinet de consultation tapissé de livres, la barrière, les sonnettes suspendues au plafond. Ligottin me demanda des nouvelles des canailles et des idiots confiés à ma garde, et sa large figure s’illumina quand je lui répondis que je les douchais à fond et que je leur appliquais continuellement la camisole : « Je suis perplexe ! s’écria-t-il, en s’asseyant et en croisant ses longues jambes. On va m’amener un malade riche qui m’est présenté par un de mes collègues. Vous le confierai-je, Canelon, ou sera-t-il pour vous, Lambert ? La chose est délicate. » Sur ce, le domestique introduisit quatre personnes dans lesquelles je reconnus Tismet de l’Ancre, Avigdeuse, M. et Mme de Sigoin. Leurs attitudes étaient caractéristiques : Tismet, prêt pour la lutte et arrogant ; Avigdeuse, portant beau, le lorgnon sur le nez, tripotant avec grâce sa fine barbe noire ; de Sigoin, plus hâve qu’au procès, les yeux enfoncés, les joues boursouflées ; sa femme, telle que jadis,