Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longue, ondulante, énigmatique, jetait vers Tismet de persistants regards. Le jeune chirurgien prit le premier la parole, dépassant la barrière fatidique : « Maître, vous vous rappelez l’accusation, à propos d’une ovariotomie, que monsieur que voici porta contre le docteur Sorniude. L’acquittement s’imposa. M. de Sigoin est mon client. Je possède son tempérament à merveille. » Ligottin hocha la tête. Sa puissante barbe se mit en branle. Il dévisageait le couple mystérieux, elle à quelques pas de lui, tous deux gênés et tremblants. Tismet insista : « M. de Sigoin est un circulaire. Il a des alternatives d’érotomanie et de persécution. C’est à vous, maître, que nous devons ces définitions admirables qui font aujourd’hui la clarté dans les problèmes ardus de la pathologie cérébrale. Donc, mon client avait été guidé par une idée fixe dans ses attaques aussi violentes qu’injustifiées contre le docteur Sorniude. Après le procès, il en convint d’ailleurs avec beaucoup de sagesse. Mais il ne quitta ce délire que pour tomber en proie à un autre plus grave, qui nécessite notre présence ici, et au sujet duquel, par un scrupule que vous comprendrez, je passe la parole à mon honorable ami, le professeur Avigdeuse. »

Tismet avait été solennel, il avait été flatteur, et, satisfait de lui-même, il souriait dans sa moustache blonde. Il recula de quelques pas. Avigdeuse, qui avait le sens des hiérarchies, s’assit avec calme devant Ligottin : « Mon cher confrère, le docteur Tismet de l’Ancre, en qui j’ai une absolue confiance, est venu me trouver dernièrement au sujet d’une affaire sérieuse. Il s’agissait d’un sien client, M. de Sigoin, qui avait donné déjà des signes de persécution, notamment lors d’un procès fameux, sur lequel je ne reviens pas, et qui, à l’époque, présentait une autre forme de vésanie. Celle-ci se caractérisait par la persuasion que sa femme le trompait, et avec qui ? Avec le propre médecin de la famille, mon confrère Tismet. Il en résultait des scènes terribles, où la malheu-