une petite moustache, des yeux clairs, un nez défectueux par la dimension, mais d’une courbe hardie. Comme tout avait changé ! Mon prénom de Félix devenait une douloureuse ironie.
Le cyclope qui m’accompagnait poussa un hideux grognement, dans lequel je retrouvai des débris de mots. Devant mon air hagard il recommença et j’entendis cette fois : « Nous serons bientôt arrivés. » Seulement les r de serons et de arrivés restaient au fond du trou qui joignait le nez à la gueule. Le seul résultat de cet essai de conversation fut que je me mis résolument à sa remorque pour éviter sa vue. À force de traverser clopin-clopant des baies vitrées, j’arrivai devant une porte garnie de rideaux souillés et, celle-ci à peine entrouverte, j’eus la même nausée irrésistible que le matin chez mon casseur de chevilles et provoquée par la même odeur incroyable : celle-ci, apothéose du purin, résultat de toutes les puanteurs humaines et terrestres, était quelque chose d’âcre, de fade, de fécal, de ténébreux et de picotant à la fois, tel que les damnés doivent fleurer dans les cercles boueux de l’enfer.
Un second grognement de l’infirmier, dont je commençais à comprendre le langage mugi, m’avertit qu’en effet nous étions dans les salles de Tabard. Pour la première fois je voyais ces deux blanches enfilades de lits, au milieu desquels une longue allée s’étend, interrompue par le poêle. Autour du poêle se chauffaient de vagues silhouettes en bonnets de coton et capotes bleues, les rares auxquels leur mal permet de se lever. Entre chaque couple de lits se dressait une table couverte de fioles, de bouteilles et de papiers huileux. Des restes de déjeuner traînaient partout, parmi de vieux journaux, des loques, des lunettes, des chiffons noirs et gras. L’ordure du chef de service était contagieuse et exaltait la saleté innée des pauvres hères qu’il menait au tombeau par le sentier de la dégoûtation. L’humilité de ces déplorables victimes de la charcuterie avariée me frappa, car ils enlevèrent leur bonnet sur notre passage