Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/97

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drap bleu, un gilet et une veste semblables, un tablier grisâtre et une casquette sur laquelle scintillaient ces mots : HÔPITAL TYPHUS. Les malades, la petite Marie, la surveillante s’étaient fort réjouis de mon accoutrement.

Je sortis de la salle Vélâqui avec bonheur, mais non définitivement, car je devais continuer à y coucher et à y prendre mes repas. Je revis la longue suite d’arceaux, les escaliers, les retentissants vestibules de ce palais du Mal. M’abritant de mon tablier, je traversai au pas de course les maigres jardins détrempés par une pluie cinglante mêlée de neige et de boue. Le ciel n’était qu’une bataille de nuages boursouflés et hagards qui se poursuivaient avec une rapidité effrayante. On m’avait indiqué la route. Après les jardins, une cour Malasvon, entièrement dallée, que l’averse faisait reluire. Je contournai le bâtiment Charmide, j’enfilai deux ou trois ruelles à nom bizarre et j’arrivai enfin à une sorte de boyau entre deux pavillons, étroit, sombre et infect. Sur une porte basse, je lus : Service des autopsies. Je franchis le seuil fatal.

Dans la première pièce, il n’y avait rien que des chapeaux et des pardessus. La seconde était une vaste salle déserte de vivants, mais peuplée de cercueils, la plupart découverts, où l’on voyait les corps, les maigres, les lamentables corps, les os serrés sous la peau sèche, les visages raidis, contractés comme par une attention posthume. Une frigidité contagieuse me glaçait le sang, me figeait d’horreur. Aux poignets des bras étiques, où saillaient les cordes des muscles, étaient suspendues des étiquettes par une courte ficelle grasse. Là je lus des noms par lesquels on nommait ces êtres qui marchaient, qui parlaient, qui pensaient comme moi et comme tant d’autres avant et après eux. Cadavres maintenant, ils avaient, accrochés à leurs mains, ces signes qui semblent appartenir à l’individu, le mettre à part des autres, le différencier, ces signes où nous voyons la destinée, qu’on a répétés dans l’amour, dans la haine