Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/111

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Empire. La Révolution est intéressante. On ne se lasse pas de l’étudier. Napoléon premier, malgré toute sa gloire et ses malheurs, est poussiéreux, et Napoléon III, par son effroyable sottise, est irritant. Le flot de sang du premier charrie un flot de gaffes devenues évidentes, d’héroïsme inutile. C’est un gâchis rouge et or. Le second, c’est l’incapacité qui se croit philosophique, c’est la défaite en cinq leçons et le morcellement du territoire par axiomes et principes. La politique de la Convention avait une figure tragique et tendue, mais une figure. La politique impériale est néant, tantôt frénésie vaine, tantôt méconnaissance des hommes et de la physique des constitutions. La démonstration de cette vérité est faite, pour le premier Empire, par Masson, pour le second par Émile Ollivier. Ces deux types, le quinteux et le « moitrinaire », ont entre eux d’étranges ressemblances. Le premier modèle les chevauchées à travers l’Europe et les intrigues de la Malmaison ou des Tuileries sur le flux et le reflux de son pancréas. Le second confronte nos défaites à la forme de son nez ou à la coupe de ses cheveux. Il semble que Waterloo ait eu lieu pour fournir de la copie à Frédéric et Sedan pour en fournir à Émile. Nos désastres ont abouti à ces incontinents.

Dieu merci, à l’heure où j’écris, nous en avons fini avec la napoléonomanie. Il n’y a rien de plus morne et de plus laid, rien de plus incapable de relever les courages ou de susciter les dévouements. C’est affaire d’acteurs et de scribes échauffés.

La musique avait ses soirs à Champrosay. Léon Pillant, auteur d’Instruments et musiciens, imagination poétique, rêveuse et charmante, puis Maurice Rollinat, puis Holmès y firent — comme disait ce pauvre Armand Gouzien — « vibrer le bois sonore ».

Maurice Rollinat était un mélange de rustique et de baudelairien. De beaux yeux ardents, de longs cheveux, une saine curiosité des choses de la campagne, une malsaine curiosité du morbide, qui finit, hélas ! par l’emporter, une gesticulation frénétique, une éloquence souvent admirable, un feu qui brûle son porteur, une mémoire de jeune dieu… ainsi apparaissait-il à ses contemporains, l’auteur des Névroses et de ces poèmes de la Creuse, où revient par endroits l’accent de La Fontaine. Il était impossible de ne pas l’aimer. Au piano il devenait irrésistible,