Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/117

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nais », par désigner clairement Edmond de Goncourt, lequel n’aimait pas plus Zola que Zola ne l’aimait, mais était d’une admirable droiture, et incapable, certes, d’une manœuvre oblique. Quant à Maupassant, en proie à la plus tragique des luttes intérieures avec son tréponème et les prodromes de la paralysie générale, il se tenait déjà à l’écart de ces débats littéraires, et promenait sa neurasthénie sur l’eau, en compagnie de dames dangereuses.

Le touche-à-tout Robert de Bonnières mêla à cette querelle ses jappements de roquet à paletot. Son intimité avec Francis Magnard, puis avec Brunetière, lui donnait une certaine importance, lui ouvrait le Figaro et la Revue des Deux Mondes. C’était un grand garçon blond et voûté, aux mains de poitrinaire, cultivé, mais affligé d’une vive rétention littéraire. Il aboutissait, tous les cinq ans, avec une grande peine et d’acres sueurs, à une plaquette en vers ou en prose. J’ai conservé le titre d’une d’elles, illisible : Le Petit Margemont. À travers cette débilité dans la création, il avait des prétentions au purisme et à la critique. Il vous prenait à part, et vous expliquait longuement, en clignant des paupières comme ceux que leur rein tracasse, ses projets pour l’année suivante, l’indignité de tel ou tel. On le supportait à cause de sa femme, qui était jolie, dans le type ophélien, à la façon d’une longue fleur coupée, parfumait de sa grâce ce raseur, et le suivit de près dans la tombe.

Contre Bonnières, aux côtés de Mirbeau, dont la verve changeante et guerrière était redoutée, Jean Lorrain prit la défense de Goncourt. J’ai toujours eu, pour ce pauvre diable, une horreur insurmontable, quasi physique, la clinique, à cette époque, étant beaucoup moins bien fixée sur son cas et les similaires qu’elle ne l’est maintenant. Lorrain avait une tête poupine et large à la fois de coiffeur vicieux, les cheveux partagés par une raie parfumée au patchouli, des yeux globuleux, ébahis et avides, de grosses lèvres qui jutaient, giclaient et coulaient pendant son discours. Son torse était bombé comme le bréchet de certains oiseaux charognards. Lui se nourrissait avidement de toutes les calomnies et immondices que colporte la manie ancillaire des salonnards, des filles rentées et des souteneurs chics. Qu’on imagine le clapotement d’un égout servant de