Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/150

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Ceux qui ont conquis et conservé sa difficile affection — il y en a — trouvent en lui, même quand les temps deviennent nuageux, ce remède amical à l’abandon et à la solitude, que nie injustement le poète latin. Il a pour eux des soins touchants, empressés, fraternels, je dirai presque féminins, si le mot appliqué à lui n’était ridicule. Mais il lui faut l’accord parfait. La moindre divergence artistique, littéraire ou politique l’émeut, le trouble, lui fait l’effet d’un manque, puis d’une défection, puis d’une trahison, puis d’un crime. Confiant et gai, il abonde en anecdotes impayables, il ferait rire un cancéreux. Hérissé et mécontent, il boude de ses prunelles lumineuses, du pli d’une bouche renfrognée et un peu gonflée, de ses sourcils arqués, qui prennent une expression d’étonnement furieux. En politique, il suit ses funestes engouements avec l’impossibilité et l’horreur secrète de les contrôler et il éprouve une véritable jouissance à aller jusqu’au bout de ses erreurs, à déguster l’absurde. En général, il hait surtout les tièdes, ce en quoi il n’a pas tort, et il les vomit copieusement. Son goût pour les juifs, même en mettant à part le besoin de la contradiction, qui gâte trop souvent son caractère, m’a toujours étonné. Car si un animal doit être ethniquement, psychologiquement, physiologiquement odieux à Mirbeau, c’est bien le bipède sémite. Après le juif, mais seulement après, il a de l’attraction pour le révolté, étant révolté lui-même et souvent sans motif, et en troisième lieu pour le pauvre bougre. Celui-ci fut-il un incendiaire, un dégradé de la dernière catégorie, l’auteur du Calvaire vous soutiendra qu’il est plein de rêves et d’étoiles et qu’il faut le chérir et le dorloter. Il est toujours en quête d’un individu de génie, homme ou femme, et il préférera le découvrir souillé et taré, sous un amas d’épluchures et de scories ; mais à défaut de celui-là, il choisira quelqu’un d’honnête et de pur. En résumé, le calme plat l’embête et le fatigue, il ne se plaît que dans les orages.

Au milieu de tant de voltes et de luttes contre le bon sens, qu’il confond volontiers avec la médiocrité — alors que rien n’est plus différent — Mirbeau a deux refuges : les fleurs et les tableaux. Ici il apporte un goût sûr, presque infaillible, un manque d’humeur surprenant, une fidélité jamais démentie. Bien entendu, ses préférences font hurler les bourgeois —