Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme les appelait Flaubert — ou mieux les « amateurs éclairés ». Néanmoins c’est lui qui a raison. Les marchands de peinture connaissent son flair et suivent pas à pas, leur cote à la main, ses indications. Il ne va pas du tout à l’effarant ni à l’exceptionnel, comme le répètent volontiers les imbéciles. Il va au classique, mais à un classique qui n’est pas encore admis comme tel et qui réclame, pour s’affirmer, le contrôle implacable du temps. Son œil, comme celui de Geffroy, a environ quinze ans d’avance sur ses contemporains. On peut donc le rattraper trois fois, au cours d’une existence de durée moyenne.

Mirbeau avait commencé par attaquer vivement et iniquement mon père dans les Grimaces, le petit pamphlet hebdomadaire à couverture rouge qu’il publiait vers 1885 et auquel collaboraient Grosclaude et Hervieu. Ensuite la réconciliation se fit entre eux cahin-caha et Goncourt y fut pour beaucoup, car il aimait Mirbeau, Mirbeau l’aimait, leur fréquentation fut sans nuages. La chose vaut la peine d’être notée.

« Mirbeau me racontait l’autre jour »… ainsi commençait souvent Edmond de Goncourt ; ou encore : « Ce diable de Mirbeau vous a une façon de disséquer Bonnières… » Puis après un regard à la pendule. « Je ne sais pas ce qu’a Mirbeau. Il m’avait cependant promis d’être là de bonne heure. » Dans un livre amusant, intitulé le Termite, J. H. Rosny aîné a fait, avec des noms supposés, un tableau fort exact de ces après-midi du dimanche à Auteuil, de ces causeries à bâtons rompus qu’interrompait fréquemment le sifflet des trains de Ceinture.

Georges Beaume — encore un qui débite un vain et vague volume par an — était blafard et gonflé ; Jean Blaize, taciturne, noir et barbu. De temps en temps, un son rauque et judicieux émanait de son système pileux. Il y avait aussi Servières en jaquette, que je prétendais non vivant, fantômal, à la grande joie de monsieur de Goncourt, et combien d’autres que le dragon littéraire a dévorés, jusqu’à ne plus laisser devant sa grotte qu’un informe petit tas d’os et de chair !

Jean Ajalbert venait de publier Sur les talus :

Ça se passe sur les fortifications.
Ce rendez-vous parmi les végétations…

et un livre de souvenirs personnels : En Auvergne.