Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/16

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ennemi du régime d’assemblée. L’amour de mon pays et le génie de Maurras devaient me parachever en royaliste. Heureux les jeunes gens d’aujourd’hui qui peuvent lire, à dix-huit ans, l’Enquête sur la Monarchie et Kiel el Tanger, qui naissent à la vie intellectuelle et politique débarbouillés de nos sottes erreurs et nuées d’il y a trente ans.

Erreurs et nuées tenaient à notre entourage, à l’ambiance, à l’éducation que l’on nous donnait. Fils de royalistes fervents, mon père ne croyait plus à la possibilité de la monarchie. Au sortir de la terrible guerre de 1870-1871, sa fièvre patriotique lui représentait la Revanche comme réalisable par la République. Plus tard il déchanta, ainsi qu’en témoignent ses derniers romans. Mais alors il écrivait les Rois en exil et se représentait, à la lueur des illusions en vogue, la monarchie telle « qu’une grande vieille chose morte ». Au lycée, à Charlemagne ainsi qu’à Louis-le-Grand, nous avions, parmi nos camarades, des fils d’impérialistes notoires, eux-mêmes napoléoniens entêtés, en dépit de la sanglante leçon toute proche. Un partisan du Roi était chose inconnue et nous eût fait l’effet d’une bizarrerie. Ceux qui ne participaient pas à l’entraînement général pour la constitution de 1875 étaient qualifiés en bloc de réactionnaires. Ainsi appelait-on amicalement ce délicieux romancier que fut Gustave Droz, auteur de Monsieur, Madame et Bébé et de Autour d’une source, qui dès cette époque détestait cordialement, avec une remarquable perspicacité, la République et ses premiers bénéficiaires. Je me demandais souvent : « Comment un homme de cette valeur et de cette intelligence est-il à ce point arriéré ? » C’était le temps où Paul Déroulède organisait à Vincennes des concours de tir. Le secrétaire de mon père, notre cher et loyal ami Jules Ebner, m’y conduisait. Patriote pour de bon, celui-là, mais aveugle quant à la République, Déroulède me tint lui aussi, avec une cordialité vraie, le petit discours : « Nous ferons de vous quelque chose. » À la réflexion, cette phrase est de celles qu’il ne faut pas adresser aux tout jeunes gens. Elle sonne à leurs oreilles comme une promesse vaine.

J’étais élevé dans le respect, ou mieux dans la vénération de Hugo. Tous deux poètes, tous deux romantiques, tous deux républicains à la façon de 48, mes grands-parents maternels