Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/199

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ennemis de Dieu m’ont ramené à Dieu. C’est ce point de vue qui, dès 1894, me dictait, comme un cri de délivrance, la prière finale des Morticoles.

Le professeur Damaschino m’a laissé un bon souvenir. Il était riche, aimable et souriant. Il se tenait hors du jeu périlleux des compétitions et des intrigues. La vie l’avait comblé. Il désarmait les hostilités par son savoir-faire. Il esquivait, même chez Charcot, la domestication et la flagornerie. Il avait une belle clientèle et s’exprimait avec une facilité presque élégante. La mort, une mort précoce, est venue mettre ordre à cela.

Autour de Charcot Imperator, comme une garde d’honneur, fidèle, soumise, éprouvée, se tenaient ses élèves, ses préférés. Leur situation n’était pas commode. Il leur fallait être laborieux, cela va sans dire, zélés dans le service, attentifs. Une certaine initiative, une certaine originalité leur étaient permises, à condition qu’elles n’allassent point contre les opinions et théories du maître. Toute dérogation aux doctrines établies par lui, concernant l’aphasie et la grande hystérie, l’ataxie et la sclérose en plaques par exemple, était considérée comme une trahison et punie comme telle. Il en est résulté un arrêt, une stupeur de vingt ans dans la pathologie nerveuse, qui compense amplement les découvertes de Charcot. Comme Berthelot le chimiste, ce savant orgueilleux s’imaginait que son compartiment avait accompli avec lui tous les progrès dont il était susceptible, que lui-même laisserait un monument inattaquable. Hélas ! le temps — pas celui d’Adrien Hébrard — a tout jeté bas d’un coup de sa faulx impitoyable. Les feuillets sont épars. Combien reste-t-il de pages intactes ?

Parmi ceux qui composaient ce qu’on a appelé l’école de la Salpêtrière, le mieux doué semblait être Brissaud. Je dis « semblait, » car finalement c’est à Babinski qu’est revenue la palme. Brissaud avait une intelligence merveilleuse, beaucoup de cœur, de l’ironie, et il dégageait une sympathie chaude. Cependant il est demeuré en route, médicalement parlant, et il n’a pas joué le rôle prépondérant que tout semblait lui promettre. Je crois bien que, sous ses airs allants et vigoureux, il était faible et influençable. Il a subi l’abstentionnisme thérapeutique de Charcot, comme il a subi plus tard le dreyfussime anarcho-huguenot de Paul Reclus, alors que son entrain