Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/204

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diagnostics. Ces deux-là sont les plus aigus, les meilleurs observateurs, et ceux qui demain porteront la hache dans le fameux syndrome de la grande hystérie, dans la théorie de la mémoire, dans l’anorexie mentale, dans la technique de la démorphinisation, dans la fréquence des névrites périphériques du tabes, etc., etc. Pour le moment, ils sont des disciples attentifs et respectueux, rien de plus. Gilles de la Tourette, Brissaud, Marie, Ballet se font un devoir d’assister à la leçon sur le malade debout, laquelle est en effet la plus originale, la plus instructive de toutes les cliniques du monde.

Charcot descend de son coupé, que tirent cahin-caha deux vieux chevaux auxquels, dans son amour des bêtes, il jette fréquemment un coup d’œil, il donne une petite tape amicale. Il salue son monde d’un regard circulaire, tend deux doigts à son chef de clinique, un doigt à son interne et c’est tout. Exception faite pour l’illustre étranger qui baragouine quelque compliment incompréhensible. Le grand homme répond par un sourire stéréotypé, une sorte de hihi qui signifie : « Trop aimable, mais je suis pressé. » Il se dirige vers son vestiaire, contigu à une pièce qui sert de laboratoire, de musée, de salon d’attente. Des moelles épinières, des cerveaux plongés dans l’alcool, étiquetés et numérotés, indiquent que le jeu est sérieux et qu’on est prié d’aller rire plus loin. Brièvement, le chef de clinique signale ce qui s’est passé d’important dans le service depuis la veille. Charcot, à mi-voix, donne quelques rapides, elliptiques conseils. En route pour la salle du cours, spacieuse, assez mal éclairée, telle que l’ont reproduite bien des photographies et des gravures. Les assistants s’entassent dans le fond. On amène un malade. Quelquefois Charcot le connaît ; souvent il ne le connaît pas. Toujours il l’interroge comme s’il le voyait pour la première fois, et dans cet examen éclate son génie ; car il va tout de suite à l’essentiel, déblayant les symptômes secondaires, écartant ce qui dérouterait tout autre médecin, ce qui ne l’embarrasse pas, lui. Il ne se penche pas vers l’échantillon humain qui lui est soumis ; il lui parle simplement, mais avec clarté, sans enfantillage, et quand il a reconnu, à quelques répliques, l’intelligence, laquelle se trouve, comme la sottise, à tous les niveaux sociaux, il s’en sert, ainsi que d’un levier, pour soulever la difficulté.