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LES FOURNIER

ment qui fait lever la pâte un peu lourde du sang paysan et l’affine en deux générations. Du fils d’une bonne il fait un grand poète, d’un petit bourgeois paisible un satyre, d’un commerçant un métaphysicien, d’un marin un astronome ou un conquérant. Une époque telle que le XVIe siècle, avec ses splendeurs et ses turpitudes, sa bravoure, sa frénésie amoureuse, son expansion formidable, apparaît à l’observateur averti ainsi qu’une incursion du tréponème dans l’élite comme dans les masses populaires, ainsi qu’une sarabande d’hérédos. Dès la première ligne de sa fameuse dédicace, Rabelais avait vu juste, et lui-même sûrement en était, avec son verbe fulgurant, sa perpétuelle levée d’images forcenées et brillantes. La plupart des dégénérescences, la majorité des méfaits attribués à l’alcoolisme sont imputables à ce spirille, d’une agilité, d’une ductilité, d’une pénétration, d’une congénitalité, si l’on peut dire, encore mystérieuse, autant que le « quel monstre est-ce », de la goutte de semence « de quoy nous sommes produits » à laquelle Montaigne fait allusion dans sa « Ressemblance des enfants aux pères ». Analogue pour l’élan et l’acrobatisme au propagateur de la vie, associé à lui dans mainte conception par la transmission héréditaire, le tréponème propage à la fois l’intensité dramatique de la vie, la stérilité qui est son contraire et les plus durs fléaux. Il est un « daimôn » matériel avec qui l’esprit doit compter, une vrille physique dans le moral et le factotum de l’instinct sexuel. Avant qu’il soit longtemps, je vous le jure, cette notion en bouleversera beaucoup d’autres et fera un massacre de poncifs.

Il y a vingt-cinq ans, cette question, aujourd’hui fort claire, était infiniment mal connue. En dépit des affirmations du grand Fournier, on discutait encore sur les relations de cause à efi’et entre le tréponème et la paralysie générale, entre le tréponème et le tabès. On niait la syphilis héréditaire au premier et, par conséquent, au second et au troisième degré. On la déclarait incapable de reproduire cliniquement presque tout le tableau de la syphilis tertiaire acquise. Maintenant encore beaucoup de médecins considèrent comme une exagération ce qui est la simple expression de la vérité : à savoir que le tréponème héréditaire est capable des mêmes ravages que le tréponème par contagion et que les fils et petits-fils des porteurs de