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LE ZOLA MAIGRE

L’amaigrissement de Zola coïncida avec la dislocation de ce qu’on appelait, à cause des Soirées de Médan, l’école de Médan. Dans la première page de Là-Bas, Huysmans, qui de longue date en avait assez, rompit carrément les amarres avec « le ponton » et « son vocabulaire », ce pendant que Céard tirait de son côté et écrivait pour le théâtre et le roman, dans une formule indépendante, fort éloignée de celle du prétendu maître. Vers le même temps, paraissait en tête du Figaro un manifeste antizoliste, connu, dans l’histoire anecdotique et littéraire, sous le nom de « manifeste des Cinq » et signé de cinq écrivains de la génération montante : Bonnetain, Rosny aîné, Descaves, Paul Margueritte et Gustave Guiches, qui dénonçaient, eux aussi, les erreurs du naturalisme. À la suite de quoi, un illettré aux pieds de plomb, du nom de Henri Bauer, qui pontifiait à l’Écho de Paris, écrivit un article des plus comiques, pataud et courroucé, où il interpellait successivement mon père, Maupassant — est-ce toi, Guy ? — et quelques autres leur demandant lequel avait monté la tête aux cinq et provoqué ce mouvement de révolte. Il finissait, dans une phrase où il était question d’« écran japonais », par désigner clairement Edmond de Goncourt, lequel n’aimait pas plus Zola que Zola ne l’aimait, mais était d’une admirable droiture et incapable certes d’une manœuvre oblique. Quant à Maupassant, en proie à la plus tragique des luttes intérieures avec les prodromes de la paralysie générale, il se tenait assez à l’écart de ces débats littéraires ; mais depuis longtemps déjà il suivait sa voie personnelle, bien plus dans le sillon de Flaubert que dans celui de Zola.

Pour se consoler de ces défections, Zola, délesté d’une partie de son lard et de ses disciples, découvrit la musique dans la personne de son fidèle Bruneau, prédestiné de toute éternité à cette collaboration cacophonique, par une lointaine ressemblance physique avec le maître. Jusqu’alors Zola, dénué de tout sens du rythme, ce qui apparaît assez dans sa prose, et désireux d’imiter sur ce point Victor Hugo, dont il enviait la popularité, déclarait volontiers qu’à part Beethoven — « un très grand homme et d’une belle silhouette broussailleuse, mon ami », — les assembleurs de sons ne valaient pas tripette. Quand, à la maison, Massenet, Pugno, ou un autre se mettait au piano, Zola se renfrognait et commençait à agiter fébrilement le pied