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SARDOU, DUMAS FILS

ne donnait au public que des indications banales, baroques, ou vénales. C’était, sous une autre forme, à peu près la même situation qu’aujourd’hui, avec cette différence que le cinématographe n’était pas là pour guetter la succession du théâtre véritable et que les habitudes juives n’avaient pas encore envahi et transformé en Bourse, en marché aux pièces, les principales scènes de Paris.

Sardou occupait une situation analogie à celle que tient actuellement Edmond Rostand, avec la neurasthénie et la petite famille en moins. Son Arnaga s’appelait Marly-le-Roi et il remplaçait la calvitie, bordée de longs poils, par un béret. J’ai déjà dit quel raseur il était et combien les dîners en ville étaient attristés par son écrasant, son anecdotique bavardage.

Dumas fils, que j’ai rencontré seulement six ou sept fois dans des maisons amies, où on l’encensait avec excès, avait pris le rôle du censeur moraliste, du clinicien ergoteur pour crises d’âmes exceptionnelles : « J’aime mon mari, je ne puis me défaire de mon amant et j’ai une cousine, ma meilleure amie, qui aime à la fois mon mari et mon amant. Elle-même est mariée. Que me conseillez-vous ? » Ces problèmes et d’autres analogues semblaient le préoccuper vivement. Il leur trouvait des solutions arbitraires, formulées à la hussarde sous sa moustache blanche, devant lesquelles ses zélateurs des deux sexes se pâmaient. Cela allait si loin qu’une admiratrice fanatique, excellente personne d’ailleurs, Mme Aubernon, arbora à une soirée chez elle, dans sa coiffure, un petit buste du maître et récita quelques vers se terminant ainsi :

… et de Dumas je suis coiffée.

Déjà en 1887 ces pièces fameuses comme le Demi-Monde, Monsieur Alphonse, Diane de Lys, avaient terriblement vieilli. Ceux de ma génération les écoutaient avec lassitude, sans comprendre où était cette veine amère et brillante dont on leur parlait. Exception faite pour la Visite de noces, un court chef-d’œuvre. L’Étrangère, notamment, où Coquelin aîné en habit, au cours d’une soirée invraisemblable, claironnait la tirade des vibrions, l’Étrangère semblait tout à fait irréelle et privée de sens commun. La Femme de Claude, où il y a de la haine et