Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/25

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au théâtre, s’était trouvé là par hasard et avait reçu le coup de foudre. Mais il n’en conserva pas moins jusqu’au bout sa fidélité à la démocratie.

J’arrive aux deux témoins de la vieillesse de Hugo, — comme il disait volontiers — à Paul Meurice et Auguste Vacquerie. Je ne les ai vus qu’au bout de leur long stage auprès de leur idole, mais j’ai gardé d’eux une impression fort nette et que le temps n’a pas effacée.

Paul Meurice, avec sa tête ronde et son poil blanc, donnait l’impression d’un vieux chien de garde qui ne gardait plus. C’était un reflet, un confident de tragédie, un de ces troisièmes plans qui ne jouent de rôle en littérature que par rapport aux protagonistes dans le sillage desquels ils se meuvent.

Vacquerie, infiniment plus savoureux, donnait, à l’adolescent que j’étais, l’impression de l’envieux. De quel ton me dit-il un jour, en me montrant Heredia : « Saluez, jeune homme, saluez la collection Spitzer ! » Cette collection fameuse était d’armures vides et de panoplies. Il avait eu une tape sérieuse à l’Odéon avec son drame poussiéreux Formosa et je rapprochais malgré moi ces scènes ennuyeuses et froides de cette voix désagréablement timbrée, de ce profil dur. À quoi correspondait réellement la fidélité de cet écrivain non dénué de talent, dénué de tout ce qui peut plaire — oh ! Tragaldabas ! oh ! les Funérailles de l’Honneur ! — vis-à-vis d’un tempérament aussi amusant mais aussi absorbant que Hugo ! L’explication par l’attraction des contrastes serait ici légèrement sommaire. J’ai entendu dire que Vacquerie, amoureux avant tout de gloire, s’était rendu compte de bonne heure de son incapacité à égaler celle de Hugo et s’était élancé au devant, comme Gribouille, afin de ne pas être absorbé par elle. D’autre part on prétend que leur intimité, traversée par le drame affreux de Villequiers, n’alla pas sans secousses et sans alertes. Enfin il y a de ces cas de la haine où la proximité semble nécessaire, comme pour l’amitié, et qui lui méritent également le nom de fraternelle. On a le choix entre ces deux hypothèses. Ce qui est certain, c’est qu’Auguste Vacquerie, pour lequel la postérité semble maussade, n’était pas un figurant ni un indifférent, loin de là. Le souvenir de son regard aigu, dans sa face de couteau ouvert, me fait encore froid dans le dos. Je répète qu’il était plein d’attentions et de prévenances pour la