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DEVANT LA DOULEUR

elles étaient hors de nos atteintes. Un grand nombre d’entre elles étaient héréditaires. On n’agirait jamais sur l’hérédité. Ces arguments ne me convainquaient pas.

— Êtes-vous déterministe, Léon, sapristi ? Ou n’êtes-vous pas déterministe ? Je vous croyais admirateur de Claude Bernard.

— Mais ne pensez-vous pas que les travaux de Claude Bernard sur le curare soient précisément un essai, une amorce d’intervention possible dans les centres médullaires ?

— Peuh ! Plutôt une réaction qui lui permit de dissocier physiologiquement les cellules motrices de la moelle. D’ailleurs, quand ces cellules sont détruites, Méphistophélès lui-même y perdrait son latin.

Brochard, malgré sa formation, toute différente de celle de Brachet, me tenait des discours analogues. Aujourd’hui, où je vois les choses de loin et de haut, je me demande quel vent de découragement avait soufflé sur ces hommes éminents et les portait à croire qu’en médecine comme en morale, comme en politique, l’être humain n’a qu’à observer et à subir. C’est la grande différence qui nous sépare de nos prédécesseurs. On eût dit qu’un mauvais génie leur avait infligé l’ablation de la faculté de résistance, mieux que cela, d’offensive contre le mal. Il est bien vrai que c’est la foi qui sauve, dès ici-bas, et que la foi, dans toutes ses manifestations, leur manquait. Ce grand ressort était, soit brisé, soit amoindri chez les meilleurs d’entre eux.

Or, le changement d’orientation de mes contemporains immédiats, les nombreuses écoles que j’ai faites depuis vingt ans et aussi les transformations des conceptions médicales et politiques m’ont prouvé que presque aucun mal n’est fatal, que presque tout est curable, sujet à révision et à amélioration, et qu’on peut intervenir efficacement jusque dans l’hérédité. Autant l’optimisme béat, c’est-à-dire inactif, est une sottise, autant l’optimisme, compagnon de l’effort, pour sortir des difficultés, des souffrances, des lésions fonctionnelles ou organiques, est légitime. L’école de l’immobilité, l’école de la Salpêtrière a fait son temps. Non seulement par l’application des sérums, mais encore par les greffes animales, par l’étude des minéraux, des colloïdaux, des substances radioactives, de la volonté humaine