Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/359

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d’un journal américain, l’écho injurieux de ces calomnies, prouvant la ténacité de certaines basses haines. Georges n’avait pas vingt ans que le Temps, journal d’Adrien Hébrard, excellent homme, mais qui n’avait certes rien d’un censeur austère ni d’un ascète, attachait déjà le grelot, à l’instigation de ce fourbe de Lockroy, en charabia protestant. Pendant vingt ans, avec des hauts et des bas, la légende imbécile a continué, soigneusement entretenue par la racaille de presse, de ghetto, de chantage et de mauvais lieu, qui constitue ce qu’on appelle euphémiquement le Tout-Paris. Georges a malheureusement le dédain des coquins trop facile et n’a pas employé assez souvent ce quadruple moyen de la plume, du bâton, de l’épée et de l’assignation, selon les cas, qui finit par calmer les chiens à deux pattes. Excellent observateur de la nature humaine, il se contente de murmurer : « Quel salaud, tout de même !… » et il passe. Il encourage ainsi la meute immonde.

À seize ans, — il avait cet âge quand nous nous sommes liés — Georges savait recevoir, dire à chacun un mot aimable et tourner un compliment aux dames. Il possédait une mémoire auditive et visuelle étonnantes, ne commettait jamais de gaffes, savait s’ennuyer poliment et distribuait aux pauvres des pièces de cent sous. Une crise de rhumatisme cardiaque précoce amena à son chevet Germain Sée et Charcot, qu’il étonna par son sang-froid et, afin de tranquilliser sa mère, il répétait, tout en étouffant, avec un pauvre petit sourire : « Ça n’est rien du tout, maman, ça va passer ». Il soignait sa tenue par tradition de famille, sans dandysme ni affectation d’aucun ordre, et rien ne lui était désagréable comme d’être traité autrement que les autres, favorisé au détriment des autres, appelé en tête des cortèges. À la mort de mon père, qui l’aimait comme un fils, mon frère Lucien et moi dûmes exiger de lui qu’il marchât avec nous derrière le char funèbre. Sa tendance naturelle a toujours été de céder le pas au voisin, de ne pas revendiquer son droit, de s’effacer. Il est exactement le contraire d’un mufle et cela explique l’hostilité qu’éprouva toujours à son endroit le peuple des mufles.

Georges sait pratiquer l’hospitalité. À Hauteville, à la villa de la Marcherie à Guernesey, rue de la Faisanderie, à Paris, il