Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/40

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l’hydrothérapie, qui lui tenait fort au cœur et lui paraissait destinée à remplacer tout autre remède. Il avait entendu parler d’un certain jet glacé sur la nuque, en usage, je crois, à Divonne, auquel ne résistait aucune névralgie oculaire. Je dus répondre péremptoirement, avec une incompétence parfaite, mais la fierté d’être interrogé, moi, simple étudiant de première année, par le pauvre Guy. On distinguait dès cette époque et à l’œil nu, dans Maupassant, trois personnages : un bon écrivain, un imbécile et un grand malade. Ils ont évolué depuis séparément, les deux premiers ayant tendance à s’absorber dans le troisième. Mais, avec la malveillance naturelle à la jeunesse, c’était surtout l’imbécile qui nous frappait par sa fatuité. Je n’ai nullement été surpris d’apprendre par la suite que les femmes, et les plus sottes et les plus vaines, le faisaient tourner en bourrique. Il appelait par ses prétentions les mauvaises farces et ces taquineries cruelles des salonnards et salonnardes dont on raconte ensuite, en exagérant, qu’elles ont causé la perte de leur victime. Il était prêt pour de charmants bourreaux. Je lui en ai connu de délicieux, mais qui abusèrent de son insupportable affectation de virilité pour le déchiqueter sans merci. Belle série pour un peintre comme Hogarth, ayant le sens de la progression dans le pire, que cette vie à étapes de plus en plus noires, allant du salon au cabanon !

Fils intellectuel de Flaubert et du même tiroir littéraire, Maupassant ne devait rien à Zola, ce qui n’empêcha pas Zola de le colloquer parmi ses disciples, avec une voracité de père Saturne. Il importait de meubler la série d’articles critiques que l’auteur des Rougon-Macquart publiait alors au Figaro et qui tournaient tous autour de son éthique et de sa personne. C’était chez les Charpentier qu’il fallait voir Zola, gras, content, dilaté, bon homme, affichant les chiffres de ses tirages avec une magnifique impudeur. Deux traits frappaient ses auditeurs : son front vaste et non encore plissé, qu’il prêtait d’ailleurs généreusement à ses personnages, quand ceux-ci portaient quelque projet de génie, artistique, financier ou social, son front « comme une tour » ; et son nez de chien de chasse, légèrement bifide, qu’il tripotait sans trêve de son petit doigt boudiné. Il était coquet de son pied, chaussé dans les grandes occasions de bottines vernies à élastiques, le cambrait, l’étirait volontiers. Il zézayait en par-