Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/440

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hanté ma jeunesse, venait de mourir et ma pensée, à travers l’espace, avait pris conscience de cette mort. Je fis aussitôt une fervente prière à l’intention du disparu. Puis, afin d’avoir un témoignage de ces circonstances, j’écrivis à mon père, à Champrosay, ce qui s’était passé.

Cependant les journaux locaux ne contenaient pas la nouvelle que je redoutais. Ceux de Paris, qui parviennent à Grenoble dans la soirée, ne la contenaient pas davantage. Mais en rentrant à l’hôtel vers les onze heures, je trouvai un télégramme d’Adrien Hébrard, me demandant, pour le Temps, une page de souvenirs sur Charcot, lequel venait de mourir soudainement d’une attaque d’angine de poitrine, au cours d’une excursion dans le Morvan, au lac des Settons.

Je répondis négativement à la demande d’Hébrard. Le drame qui frappait l’hospitalière et glorieuse demeure m’avait atterré. Le maître de la Salpêtrière avait tyrannisé pendant vingt ans la Faculté de Médecine. Il n’en était pas moins une des plus remarquables intelligences dont se soit enorgueillie la médecine française. Philosophe nul, thérapeute médiocre, observateur visionnaire, clinicien génial, il prendra dans l’avenir, j’en suis certain, quand les rancunes accumulées par ses partis-pris souvent injustes auront disparu, une belle place au-dessous de Claude Bernard et de Potain, sur le même rang que Duchenne de Boulogne. Il aura eu le rare mérite d’avoir compris que l’art et la science doivent se comprendre, se compénétrer et s’entr’aider.