Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/475

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ami ! » ou éclatait d’un rire intempestif, destiné à masquer sa gêne ou son ignorance.

Le seigneur de Carabas de Tamaris, où nous habitions, était un vieux bonhomme, à tête de paysan finaud, que l’on disait vingt fois millionnaire, auquel ses avatars avaient valu le surnom de Michel pacha. Lockroy tenait essentiellement à épater Michel pacha. Dès qu’il l’apercevait, il allait à lui et commençait un cours de haute politique maritime, que le bonhomme écoutait en clignant, avec cette préoccupation visible : « Va-t-il, pour finir, m’emprunter cinq louis ? » Il ne s’agissait certes de rien de tel, mais Lockroy avait hâte de replacer son érudition toute chaude et de prouver au vieux Crésus qu’il saurait à l’occasion manier le trident de Neptune, ce « spectre du monde ». Au bout d’une heure, Michel pacha, ne voyant décidément rien venir, s’assoupissait les deux mains sur sa canne, et Lockroy continuait à déblatérer, devant cet innocent richard endormi, contre l’amiral Duperré et l’amiral Gervais, à jurer qu’il les dresserait.