Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/513

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du Nain Jaune… » Suivait l’histoire d’une avanie, avalée par Arthur comme une huître. Rochefort, à ce souvenir, se tordait de rire et ramenait, d’un geste familier, ses manchettes blanches. Un jour Arthur eut l’idée de demander à Rochefort des articles pour le Gaulois. La signature était un petit masque. Mais, au bout de peu de temps, la collaboration cessa pour incompatibilité d’humeur et le « chand d’habits » en smoking reprit ses courbettes éperdues.

Vis-à-vis de Mme  de Loynes, Arthur Meyer était naturellement fort plat. Elle lui montrait de l’indulgence, mais aussi, quand il bronchait, de la sévérité. Elle me raconta qu’au temps de son duel tragiquement honteux avec Drumont, alors qu’il voulait, comme dans les mélodrames, quitter la France et l’étranger, elle lui avait remonté le moral. Mais quinze jours après, Arthur, de nouveau, portait beau et coassait dans les salons. Les aphorismes et pantalonnades d’Arthur, sa natation à travers les crachats, son importance sociale, ses duchessetés et baronneries remplissaient de joie Jules Lemaître. Il avait été question d’en faire un recueil, un album. Le foisonnement de ces arthuriana, leur surabondance étaient un obstacle. Arthur est un type comme Guignol ou Karagueuz et il faudrait lui consacrer un tréteau spécial.

Adrien Hébrard, directeur jovial du grave Temps, était au contraire aimé de tous. La politique de la Patrie française, qui le faisait plus rare, ne l’avait pas cependant écarté à jamais de l’avenue des Champs-Élysées. Ses apparitions nous enchantaient. Il avait horreur de la dispute, de la contestation, des opinions tranchées et, en ce cas, il trahissait son ennui par de petits haussements d’épaules. Il concevait la vie comme une farce, mais de style classique, les gens en vue comme des fantoches, d’autant plus drôles qu’on les prenait davantage au sérieux. Il excellait aux définitions cocasses, aux rapprochements imprévus, aux portraits en trois coups de langue. Il s’amusait lui-même, il pouffait, penché en avant sur son assiette, son plastron gondolant un peu, puis reprenait le fil de son récit avec un rien d’accent, aussi délié qu’une pointe d’ail dans une tomate réussie. Verveux, il suscitait la verve ; bon garçon, l’indulgence ; je m’enfichiste, le je m’enfichisme. Ce qui ne l’empêchait pas d’être très fidèle à ses vieilles amitiés,